Ce texte est une prise de note lors d'une séance de formation de formateurs de l'Ouest de la France, organisée à l'initiative de Christophe Pinard et animée par Marc Guidoni et Roselyne Van Eecke (inspectrice jeunesse et sports)
Longtemps prisonnière de sa représentation scolaire, objet d’une science dédiée au nom énigmatique, la docimologie, l’évaluation s’est pourtant imposée comme un concept-clé du travail social. Outil de la performance qui a désormais gagné le monde de l’entreprise, au même rythme que le mode ‘projet’, elle se nourrit de notre conviction qu’il est indispensable d’analyser notre pratique professionnelle, parce que notre ‘matière première’ est la personne. C’est pour nous d’ailleurs moins un système de contrôle de l’efficacité qu’un puissant moteur d’amélioration et d’innovation.
En formation, la définition est plus étroite. C’est le système conçu pour guider le stagiaire dans son apprentissage, à situer ses difficultés et à trouver les moyens de s’améliorer. Nous pouvons décréter que nous mettons en place l’évaluation dans nos sessions de cette manière. Je crois que nous le faisons, avec sincérité. Mais c’est sans doute insuffisant. En effet, quel que soit notre degré d’intégration de cette définition, nos intentions vont se heurter à deux limites :
- le ‘parasitage’ de l’école, dans le sens où chacun fait rimer évaluation avec contrôle des connaissances (phénomène encouragé lorsque les candidats sont majoritairement des lycéens de 17 ans et aggravé lorsque les formateurs sont par ailleurs enseignants !) ;
- la mission donnée par Jeunesse et Sports au directeur de session, valider la capacité des stagiaires à poursuivre leur formation.
Jusqu’ici, nous avions trouvé un moyen commode de nous en sortir : faire participer le stagiaire à son évaluation par une auto-analyse de sa progression. Certes. En réalité, bien souvent imposé comme critère d’évaluation, cette idée d’une importante capacité de remise en question des animateurs peut se révéler un moyen commode de faire comprendre à un candidat qu’il fait fausse route, sous couvert de lui laisser en premier la parole dans un entretien. A la fin, c’est toujours l’équipe qui gagne, puisqu’elle est seule à rédiger l’appréciation finale qui est, somme toute, imposée au stagiaire pourtant invité à participer à son évaluation.
Pourquoi cette contradiction ? Nous le savons bien ! Lorsqu’on interroge les candidats à mi-session sur leur progression depuis le premier jour, rares sont les constats équilibrés et sincères. Effrayés par l’exercice, ils sont tour à tour enclin à dissimuler leurs doutes, relativiser leurs réussites ou encore à mettre en avant des talents inexploités encore. L’équipe, d’une oreille bienveillante, écoute leurs aveux et leur partage finalement, comme un verdict, la ‘réalité’ de leur implication, qui n’est que le fruit d’une observation, donc la partie visible de l’investissement de la personne dans la session. En vérité, tout cela est stérile. Et injuste ou imprécis. En effet, la réalité du message de mi-session, c’est qu’il est centré sur la performance observée lors d’un jeu, d’un chant ou d’une veillée. C’est donc l’exercice, ici appelé ‘mise en situation’, qui détermine l’appréciation portée par l’équipe, pas la capacité du stagiaire à situer ses difficultés et à décider de les améliorer. A ce moment nous n’évaluons plus, nous opérons une sélection.
Cette ‘dérive’ n’est pas neutre. Motivée le plus souvent par le souci de rendre le stagiaire compétent sur le terrain, elle nous fait oublier le sens de la formation BAFA (que des jeunes s’engagent au service d’autres jeunes en faisant l’expérience de la vie en collectivité et l’apprentissage de la responsabilité), et la réalité de notre engagement : promouvoir la personne (permettre à ceux que nous rencontrons d’être ‘plus…’). Les aspects techniques ne peuvent être que secondaires, même s’il paraît rassurant pour nous, les formateurs, de ne laisser partir en stage pratique que des jeunes qui connaissent la réglementation et maîtrisent toutes les techniques de jeux et de veillées. C’est évidemment l’intérêt des structures qui les emploieront, mais est-ce réellement l’intérêt des enfants et des jeunes ?